Au large des côtes Atlantiques, de Brest au Maroc, dans une bande souvent comprise entre 200 et 400 NM (500 Kms), on peut avoir la chance d'une visite sympathique.

Il s'agit d'un tout petit oiseau, plus petit que nos moineaux, avec des longues serres bien fines et un petit bec tout effilé. Marron, certains ont des reflets jaunes sur la poitrine. Du haut de ses quelques grammes, il est bien incapable de se poser sur l'eau. Par contre, il ne refuse pas l'exploration d'un voilier de passage.

On le voit embarquer en fin de journée souvent.

 

Il va commencer par une inspection approfondie du pont. Le moindre recoin, le moindre petit trou de manille est examiné en quête d'un moucheron ou d'une succulente araignée (Et il y en a !)

 

 

Quand une rafale plus forte que les autres le balaye du pont et qu'on le croit perdu à jamais, il resurgit rapidement par l'arrière du bateau, sans la moindre plume mouillée!

Avec le jour qui décline, c'est la visite des appartements qui se poursuit, sans plus être inquiété par notre présence. Et oui, le froid monte vite le soir sur l'océan.

Les cabines,le carré, la cuisine, tout y passe.

La table à carte, quant a elle, est régulièrement gratifiée d'une petite crotte. Mais je n'y vois aucune expression particuliere !

Les divers miettes ou autres sont sans le moindre intérêt pour ce monsieur

Lorsqu'un petit coin convenable est identifié, notre PetitBec s'installe pour la nuit. Il lui faut un endroit ou il puisse se caler des mouvements du bateau et ne pas être trop dérangé par nos activités.

La tête sous l'aile et hop, bonne nuit tout le monde.

Il va sans dire que mes allées et venues et le faisceau de ma torche lors des inspections nocturnes sont sans effet. Il m'est même arrivé d'avoir ma tendre épouse au pays des songes dans notre cabine et PetitBec en train de pépier sous son aile à 3h du mat derriere l'égouttoir de la cuisine. On se sent seul parfois .

Aux premières lueurs du jour, souvent, notre prince refait un petit tour du propriétaire histoire de ne rien oublier puis, sans autre formalité, s'envole vers de nouveaux horizons.

 

La dernière visite en date s'est faite sur une autre tonalité.

J'étais comme d'habitude en fin de journée vautré au soleil dans le cockpit en sirotant une bière fraiche quand je le vois arriver ! Cahin-caha, virevoltant il rejoint le bateau. Et sans autre façon, monsieur vient directement se poser... sur moi, sur mes genoux ! On se connait ?! Pensais je. Tranquillement notre invité surprise se niche, pas de chasse, pas d'exploration. Appelé par mes obligations maritimes, je dépose monsieur sur le coté pour me rendre a la table a carte. Petit Bec m'emboîte le pas et se pose sur mon bras, puis entame enfin la découverte...de ma chevelure !!

J'avoue avoir matière à nidification mais pense immédiatement à la petite crotte rituelle. Nos pensés se rejoignent et dans la plus grande classe PetitBec descend pour la poser sur le clavier. S'entame alors une visite rapide car il tombe sur mon étui a lunette qui a la particularité, en plus d'être de grand standing ( noir ébène intérieur molleton rouge capitonné), d'être visé sur la cloison de la table a carte pour lui éviter de traverser cette dernière à chaque roulis.

Je vois néanmoins qu'un détail le gêne a son dandinement pour s'installer. Sûr de moi, j'enlève les dites lunette et lis un tel sentiment de plénitude dans son expression que je comprends avoir vue juste!

Je retourne donc à ma position favorite dans le cockpit, regarder le jour décliner. Comme nous filons vers l'Est, le soleil du soir donne plein sur l'escalier de descente.

C'est sur la plus haute marche que PetitBec choisit de venir se poser, face au soleil couchant, avec toute la réverbération qui chauffe, comme pour conjurer le froid qui gagne, comme si l'astre ne se relèverait pas.

Les yeux mi clos, la tête dans les épaules, il profite.

L'heure de l'apéro sonnant, je romps ce moment de plénitude.

J'allume les feux, passe une polaire, PetitBec se couche dans son étui, tête sous l'aile comme toujours. Cette nuit là fut longue et tranquille. C'est les nuits ou le reflet des étoiles sur l'eau ne bouge pas. Pas un souffle, pas une ride, pas un mouvement.

Le soleil est déjà haut quand je réussi a m 'extirper, aucune brise légère n'étant venue me réveiller.

 

A ma grande surprise, je trouve l'étui encore occupé ! Je n'étais pas le seul a devoir récupérer me dis-je … mais je comprends vite, tout se met en place dans mon esprit :

- pas de chasse à l'araignée la veille, le soleil, la chaleur, le contact, le lit première classe...Il savait !

Le soleil s'est bien levé lui, mais PetitBec s'est éteint.

 

C'est non sans quelques émotions que j'ai pris soin d'envelopper ce petit corps si frêle, capable de traverser les océans, dans un peu de ouate. Puis je l'ai rendu à dame nature.

Repose en paix PetitBec.

J'ai ouvert la première ligne « décès » dans le journal de bords de Liberdade, et y ai collé quelques plumes.

 

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